LE TRIPTYQUE DE LA MER
1. Devant la mer…
Enrouler son esprit dans la vague argentée
Qui miroite et poudroie son écume diaprée,
Entendre comme un rêve indistinct et tranquille
Toutes les voix mêlées des passants qui défilent,
Suivre le vol précis des mouettes qui se posent
A la crête de l’eau sur le berceau des flots,
Ou la trace lamée d’un avion dans les airs
Ou le mince triangle d’une voile blanche
Avançant tel un songe au bout de l’horizon,
Se taire et laisser taire la rumeur sans fin
Qui sans cesse envahit notre mental troublé,
Sentir le goût iodé promené par le vent
Ecouter le ressac profond, irrégulier,
Ce grondement qui naît de la Vie primordiale,
Le cœur de la planète au murmure ancestral,
Ataraxie de l’âme en harmonie parfaite
Dont la cadence intime exalte avec ivresse
L’unité retrouvée de notre être et du monde.
2. Rêverie en bord de mer
Assis devant la mer,
Nous rêvons, le regard
Noyé de bleu lointain…
Et sur les galets crissent
Les pas des promeneurs…
Des troupes de nuages
Encerclent le ciel courbe
Au rond de l’horizon,
Et la houle curieuse
Court à l’assaut des vents…
Puis chaque instant trépasse
Et puis le sable efface
Les empreintes humides
Qui parlent des humains…
La vague se retire
Et l’océan respire
Maints reflets de soleil…
Des pas à nouveau passent
Ne laissant nulle trace
Sur la jetée dormante
Où la nuit va s’éteindre,
Une étoile scintille
Sur un rouleau d’écume,
C’est l’heure du mystère
Pour l’eau sombre qui veille.
Reprenant nos regards,
Nous partons vers la ville,
Tout dort, tout est tranquille
Seul le cœur de la mer
Bat son rythme éternel…
3. Hypocrite dormeuse…
Hypocrite dormeuse aux berceuses de vagues,
De son air assoupi elle observe la plage
Et moi je scrute aussi sa surface bien calme,
A peine une blancheur émerge de son flot,
Frise mousseuse et tendre aux arômes salins.
La mer roule en douceur sur le sable mouillé,
Tel un serpent qui rampe en tordant ses anneaux,
Elle avance vers nous toujours un peu plus près.
Le chant de son ressac nous paraît si léger
Qu’on est loin de penser qu’il peut se transformer
En un vacarme énorme aux sons assourdissants
Quand le flux furibond monte à l’assaut des terres.
Hypocrite charmeuse aux reflets d’or marin,
Je l’ai vue se changer en noire enchanteresse
Devenir une forme aux géants tentacules
Encerclant sans pitié les phares protecteurs.
Et je l’ai vue grimper sur les bateaux perdus
Puis gagner le rivage et submerger les digues
Détruisant en chemin ce qui lui fait obstacle.
La voici dans la ville envahissant les rues,
Entrant dans les maisons comme on force un donjon,
Tuant tout sur son passage, animal ou humain.
Son eau glacée s’installe à la place des hommes,
Partout c’est la détresse et l’ébahissement
Car elle est devenue la traîtresse ennemie
Qui ose résilier sans le moindre scrupule
Son tacite contrat de fidèle amitié.
Hypocrite danseuse, ondulante sirène,
Elle sait bien séduire, endormir nos méfiances
Avec sa valse lente aux tempos élégants,
Sa houle hypnotisante où notre âme se perd,
On ne parle que d’elle et même on la vénère.
Moi, je ne suis pas dupe, assise sur un banc
Face à son horizon qui ondule en riant,
Je contemple d’un œil comblé mais soupçonneux,
Son magnifique et rutilant manteau d’eau bleue,
Sachant que loin, très loin dans ses abysses sombres
Son instinct meurtrier pourrait se réveiller…